(...) La deuxième difficulté ou limite de la démocratie, et sans doute la plus fâcheuse, est l’absurdité ou la déraison tyrannique démocratique qu’entraîne parfois la règle de la majorité. L’on sait que la pratique démocratique se fonde en ce qui concerne le processus décisionnel, sur l’importance numérique des membres participants. La décision est en faveur de la position exprimée par le plus grand nombre de personnes. Et cette décision se prend habituellement sous le mode du vote. L’emportant, la majorité est autorisée à appliquer et à faire passer son programme politique, et la minorité est obligée de se soumettre et d’obéir aux règles qu’elle met en place. De cette manière, la démocratie es présente, quoique de façon peu visible, comme une tyrannie de la majorité, ce que déjà Alexis de Tocqueville disait d’une manière effrayante (voir aussi Hirschman, 1984 :93).
Mais elle est plus effrayante encore si cette majorité est incompétente, non instruite, non informée, non éduquée et mue par des considérations plutôt sentimentales que rationnelles et objectives. L’élection (ou le vote) démocratique dans une organisation ou une société peut ouvrir la voie à l’autodestruction lorsque la population est mal informée et qu’elle appréhende et analyse mal les situations. L’on peut facilement imaginer l’étendue du désordre auquel peut conduire la victoire de la majorité de neuf idiots sur dix dans des décisions d’importance vitale. Si la logique démocratique veut que c’est la majorité qui a raison, la réalité est que, malheureusement, la raison et la vérité peuvent bien se trouver du côté de la minorité. Cela fait aussi voir que ce principe de la majorité est en fait l’équivalent moderne du tirage au sort de la démocratie athénienne (que le philosophe Socrate dénonçait en recherchant le règne de la raison), principalement là où les citoyens sont sous-informés sur les questions débattues et sur les termes de référence et conduits par les sentiments égoïstes et tribalocentriques plutôt que la raison et le bon sens.
La démocratie manifestée dans le principe politique de la victoire de la majorité n’est justifiée que si cette majorité est éclairée, et capable d’indépendance d’esprit et d’objectivité c’est-à-dire si la majorité est reconnue apte à opérer des choix rationnels, raisonnables et justes en faveur de toute la communauté. Bref, la démocratie ne signifie pas seulement nombre mais aussi qualité. La démocratie est fondée sur le vœu de posséder des dirigeants dotés de très hautes qualités sociales, intellectuelles et morales. Elle se veut un gouvernement du peuple pour le peuple par des meilleurs choisis par les représentants du peuple. Elle exige l’excellence non seulement des représentants du peuple, mais aussi de leurs électeurs, qui doivent opérer le choix pertinent, le meilleur. Tout choix fondé sur des analyses et des arguments rationnels et raisonnables est en tout point semblable à un tirage au sort minable.
L’une des manière les plus efficaces d’empêcher la majorité de s’exprimer en faveur d’une option dangereuse consiste à renforcer la transparence et la clarté dans les affaires, et aussi de renforcer l’information et la formation intellectuelle, civique et politique susceptibles de permettre un degré suffisant de discernement et de choix rationnel. C’est dire que toute démocratie est dangereuse si la majorité de la population est intellectuellement sous-développée et non au fait des réalités objectives de la société.
Mais un autre remède proposé contre la tyrannie de la majorité, c’est le respect des minorités. Malheureusement, l’expérience montre que c’est cela souvent qu’une belle déclaration d’intention. Le parti gagnant (la majorité) exerce sa loi c’est-à-dire applique son programme politique, contre vents et marées soulevés par l’opposition jusqu’à ce que, peut-être aux élections suivantes, le pouvoir change de camp. Sauf scandale particulièrement grave, la majorité au pouvoir demeurera à la direction du gouvernement et mettra en œuvre son projet de société. Par conséquent, le respect des minorités (les autres partis, ethnies, ou groupes ayant perdu le pouvoir) n’est en fait que l’application d’un droit reconnu naturel et universel, à savoir le respect des droits de l’individu en tant que personne physique et morale.
A y réfléchir en profondeur, il n’y a en fait rien de spécifique dans la proclamation du respect des minorités. Elle signifie simplement la nécessité affirmée de devoir respecter les droits de l’homme (droit à la vie, à la liberté d’association des individus, etc…). La seule minorité qui vaille, si l’on veut bien penser radicalement les choses, c’est l’individu. Si les droits des groupements (toujours déjà constitués d’individus) devront l’être par voie de conséquence. Et en définitive, toute notion de minorité devrait disparaître dans un régime véritablement démocratique pour laisser la place à celle de reconnaissance et de respect des droits de l’autre. Elément de base de la société, l’individu n’est jamais une minorité. Le civisme exige donc de reconnaître et de respecter les droits de l’individu en tant que citoyen. Toutes les autres exigences découlent de cette dernière.
Extraits de P. Ngoma-Binda, la participation politique, IFEP, FKA, Kinshasa, 1995, pp. 53-55
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Il y a 9 ans
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